Helene et Ila

Par Hélène Lebon


C’était il y a presque trois mois. On refaisait le patio. On était là, aux portes d’un été entamé dès la fin mai, à crever de chaud et d’ennui dans notre maison de banlieue. Pas qu’on a manqué de job, non. Mais on a manqué de jus et il était temps de partir. Ça peut sembler fou en temps de pandémie et d’incertitude, mais c’était devenu impossible de rester. Mario a compris. Ses enfants étaient grands, il était temps pour lui de reprendre aussi le cours de sa vie. Et à moi, les ailes me démangeaient. L’été passé, on a traversé le Canada, il n’en fallait pas plus pour avoir envie d’aller voir la feuille d’érable derrière la fleur de lys.

L’Île-du-Prince Édouard en mémoire

Quitte à quitter la métropole québécoise pour un peu de verdure, d’eau, de quiétude, on aurait pu aller en Estrie. Ça n’est pas si loin, c’est plutôt joli et on y a des amis. Mais voilà, je voulais voir la mer, avec un refrain lancinant, voir la mer, accrocher mes pupilles aux confins salés de mondes lointains. Et puis l’Île-du-Prince-Édouard avait pris notre cœur et piqué notre curiosité depuis qu’on y était allés pour le roadtrip l’été dernier. Accrochés aux rencontres précieuses qu’on y avait faites, la plus petite province du pays nous était, depuis, restée accrochée en tête comme une photo sur la porte du frigo. L’Île-du-Prince-Édouard et ses gens si gentils - dont Kirk et Melissa - ses plages incomparables, ses airs de bout du monde, nous est apparue comme une promesse de bonheur et notre évidente prochaine destination. Après presque 10 ans sur mes 15 dernières années passées au Québec, ma vie continue «Ô Canada».

La route est belle, l’avenir radieux

On a tellement vendu le rêve que la fille de Mario a sauté dans l’aventure. Un ex à fuir au Québec, une vie à bâtir et l’équation s’est faite rapidement. Ces jours-ci, elle nous ravitaille en confinement, car elle a fini sa quarantaine étant arrivée deux semaines avant nous. Ça aura été une longue route. Des mails de la job et au bout du fil, des émotions en masse, au moins autant que de l’asphalte. Une escale nocturne à Rivière-du-Loup plus tard, passer le premier contrôle pour entrer au Nouveau-Brunswick «remplis le formulaire en ligne et bip la horn quand t’as fini», formulaire rempli, klaxon klaxonné, passage passé. Puis, on a parcouru les routes presque désertes, avec ce bruit de camion ambiant. La nuit pour accompagner nos derniers kilomètres, on a franchi le pont de la Confédération avec fébrilité. On avait l’autorisation du gouvernement de l’île et le AirBnb réservé, Mario avait tout préparé.

Les premiers instants insulaires

On a glissé dans l’obscurité, croisé un renard, échangé quelques mots de chicane - la tension qui relâche sans doute - puis on est arrivés. Un beau chalet de bardeaux de cèdre avec une forme de bateau retourné nous attendait au bout d’une piste de terre rouge. On a déchargé les affaires de la voiture le soir-même. Les cartons ne sont pas défaits et attendent la prochaine maison. On ne veut pas envahir le petit chalet loué. Toutes nos affaires tiennent empaquetées et entassées dans une seule pièce. Il faut dire qu’on a fait du Marie Kondo en titi. Et des heureux aussi. On a donné, vendu à du monde, et laissé au fils de Mario de quoi partir en appartement. J’ai une commode en souvenir, Mario un coffre en cèdre. Plus notre lit. Ensuite, ce sont des cartons de cuisine et de matos technologique surtout. Nos fringues, mon cadre de mamie, notre néon de mariage et des livres dont je n’ai pas su me défaire. On est là, la face au vent, avec des fois de la pluie, des fois du soleil, confinés mais heureux, dans cette «salle d’attente» en passe de plonger dans un nouveau quotidien.

Moments d’une vie en transition

Ici pas de COVID, la période de confinement est stricte et le gouvernent au courant. Le département de santé publique nous appelle chaque jour. La dame a une voix chaleureuse malgré la mécanique de ses questions. Elle est aimable. Tout va bien merci. On attend, on travaille du chalet avant de pouvoir explorer. Dans ma vie d’adulte, j’ai vécu sur plusieurs continents et différents fuseaux horaires avec l’aisance d’un oiseau migrateur. L’hirondelle de ma mamie, à ceci près que je n’obéis pas aux saisons: c’est le goût de l’horizon, que je cherche comme un trésor sans carte. Quatre ans de vie dans le bungalow de la Rive-Sud de Montréal, avec ses rêves, ses joies, ses jolis projets réalisés. On s’est marié, on a bâti Lebon Trait d’union. Ça aurait fait 4 ans en novembre. Ça faisait longtemps que l’envie de poser mes valises ailleurs avait commencé à me tarauder, alors PEI, nous voilà.

Partir à deux et non plus avec deux valises

Mario n’avait pas cette urgence. Il aurait pu rester encore un peu, 11 ans et beaucoup de souvenirs dans sa première maison, sa maison a lui, achetée après son divorce pour rester proche des enfants, entre leur école et chez leur mère. Mais il n’a pas hésité. À peine les dernières planches de la terrasse clouées, la maison était en vente. Des montagnes russes d’émotions avant de tomber sur Manon qui reprend la maison comme un flambeau. Tout le monde est content. Je serais partie. En fait, si ce n’était de mon mari, je ne serais pas restée autant de temps à Longueuil. Cette phrase est singulière quand je la relis, elle s’imprime plus encore en moi. On a uni nos destins, un jour heureux d’octobre 2019. Depuis on reste ou on part, mais on le fait ensemble. Ça m’a permis de voir que l’important, toute nomade que je suis, ce n’est ni la destination ni le voyage, mais plutôt la compagnie qui fait le chemin avec moi.

septembre 21, 2020 — Hélène Lebon

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