Cargaison poétique, jour 25, mois 4

Par Hélène Lebon

Je te rencontre à la fin

De l’hiver, les pétales s’envolent 

Comme les flocons 

De la belle saison 

Et tu me regardes folle

Comme si j’avais un grain. 

Tu me regardes faire mes premiers pas 

En toi et je pense que je t’attendris. 

Mais tu t’en fous de moi. 

Je ne suis pas la première gaijin 

Que tu émeus. Et pourtant, 

Sais-tu que je te reconnais? 

***************

J’ai mangé tes rues brillantes 

La pluie c’est beau sur ta 

Face dégoulinante. 

Tu es trop parfait sinon,

Il ne te manquait que cette 

Mélancolie pour t’humaniser,

Juste ce qu’il faut. 

***************

Vingt milles lieux sur la terre,

Entre les animaux marins de la Dotonbori

Les enseignes s’agitent comme des coraux urbains, 

Et voilà qu’à Osaka je sirène de ville.

Poésie Japon + Lebon Trait d'union

 

***************

Beige, noir, brun. Parfois indigo.

Et tout à coup, un éclat vermillon.

Ma collection de photos ne ment pas. 

Le cinéma ne ment pas. 

Le Paris d’Amélie, lui, n’existe pas.

Mais Tokyo, Osaka, Kyoto,

C’est comme ça, le Japon,

Ça ne ment pas. 

***************

Ta délicatesse a ciselé

Chaque fleur des pruniers 

Sur lesquelles mes yeux se posent.

Et autour du château historique

Les gens avancent et se pressent 

Eux aussi, eux d’abord, «ume» caresse

Pour le temps que ça dure.

***************

Ta face inédite

Mes pensées interdites

Y a-t-il un jour pour t’appeler? 

Pays-corps tu gémis aux 

Aléas de la mer. 

Catastrophe. Beauté. Avant-Arrière.

Ça recommence. Avant-Arrière. Volupté.

Tu sais que rien ne dure.

Moi, je l’apprends avec toi. 

***************

Tes distributrices de boissons 

Sont les lucioles des quais de gare 

Des rues, des ruelles et des recoins. 

Je les regarde hypnotisée.

J’attends peut-être qu’elles s’envolent

Ou qu’elles m’invitent. Quel monde s’amuse 

Derrière les cafés chauds et froids et l’eau de pêche? 

Les néons criards de tes distributrices ont la poésie d’Éluard, 

Le contre-sens réfléchi, addictif et diffamatoire. 

Japonisme brillant, bruyant, revêche, 

Pièce de manga, de film, de roman, de la vraie vie. 

J’aime tes distributrices comme des œuvres d’art. 

Poésie Japon + Lebon Trait d'union

***************

Un café, un matcha, un saké. 

Je prendrais tout de toi 

Jusqu’à plus soif, jusqu’à boire la tasse.

Un sourire, une chanson, un ami,

J’accueille mon rêve du Japon dans 

Le jour qui ne se couchera plus sous mes 

Paupières indélébiles, car je t’aime vois-tu, 

Je t’aime à dormir debout. 

***************

Le microphone parle. Il dit je ne sais quoi. 

Les autres comprennent et tout le monde,

Dans la valse, en rang d’oignons, comme des sardines,

Tout le monde bien en place. 

Le journal. La télé. La radio. Le marchand de journaux. 

Les autres comprennent et moi, 

Dans la valse, je me fonds dans la masse.

Je ne comprends pas, je vis, je retrouve, je repère, 

Je comprends qu’un jour j’ai dû comprendre, 

Qu’un jour je comprendrai à nouveau. Je ne suis pas perdue, 

Je viens de me retrouver. J’ai ouvert une can de verre, 

Une boîte de sardine où j’ai déjà eu mon banc, 

L’étrange impression du grand déjà-vu.  

***************

La poésie crue et addictive de l’utilitaire 

Frappe tes annonces publicitaires, 

Les néons de tes enseignes, les choses vulgaires.

Tout est beau en toi. Je ne vois que ça. 

Je ne vois que toi. Je t’ai tellement rêvé 

Que je pourrais te dessiner à mains nues, à main levée. 

Ton quotidien me pénètre, tantôt le matin, tantôt la nuit tombée.

Je t’absorbe, je te presse contre moi, je te crois à peine. 

Puis il faut repartir. Ranger les notes, carnets et cahiers. 

Refaire mes valises. Partir. Je ne suis pas encore d’ici. 

Poésie Japon + Lebon Trait d'union

***************

Je repasse tes souvenirs dans ma tête étroite. 

L’écho de tes lumières, les courbes de tes signes, 

L’équerre de tes angles me restent tatoués ici et là.

Ma peau diaphane n’est pas assez grande

Pour les contenir tous, même les plus infimes.

Il a fallu que je parte. Ce bouche-à-bouche n’était pas 

Fait pour me sauver. Pas cette fois.

Ça faisait beaucoup d’un coup, on aurait dit le Grand Bleu, 

J’ai plongé jusqu’à en perdre le respire

Et le sens des priorités. 

Tu m’as noyée et tu m’as foutu le feu. 

De retour, je pense à toi, collée à ma vitre froide et ça me fait sourire. 

Tu manques à mes sens même si tu n’es pas ma terre. 

Un jour peut-être tu seras mon exil et j’inviterai mon père et ma mère,

Je leur montrerai qui tu es, ce que j’en sais. Ce jour-là,

Je t’embrasserai les yeux ouverts et ma flamme à moi, 

Tu la reconnaîtras, ténue entre tes mains 

Bien décidées à me retenir. 

avril 25, 2021 — Hélène Lebon

Laisser un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d’être publiés.