Cargaison poétique, jour 25, mois 4
Par Hélène Lebon
Je te rencontre à la fin
De l’hiver, les pétales s’envolent
Comme les flocons
De la belle saison
Et tu me regardes folle
Comme si j’avais un grain.
Tu me regardes faire mes premiers pas
En toi et je pense que je t’attendris.
Mais tu t’en fous de moi.
Je ne suis pas la première gaijin
Que tu émeus. Et pourtant,
Sais-tu que je te reconnais?
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J’ai mangé tes rues brillantes
La pluie c’est beau sur ta
Face dégoulinante.
Tu es trop parfait sinon,
Il ne te manquait que cette
Mélancolie pour t’humaniser,
Juste ce qu’il faut.
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Vingt milles lieux sur la terre,
Entre les animaux marins de la Dotonbori
Les enseignes s’agitent comme des coraux urbains,
Et voilà qu’à Osaka je sirène de ville.
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Beige, noir, brun. Parfois indigo.
Et tout à coup, un éclat vermillon.
Ma collection de photos ne ment pas.
Le cinéma ne ment pas.
Le Paris d’Amélie, lui, n’existe pas.
Mais Tokyo, Osaka, Kyoto,
C’est comme ça, le Japon,
Ça ne ment pas.
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Ta délicatesse a ciselé
Chaque fleur des pruniers
Sur lesquelles mes yeux se posent.
Et autour du château historique
Les gens avancent et se pressent
Eux aussi, eux d’abord, «ume» caresse
Pour le temps que ça dure.
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Ta face inédite
Mes pensées interdites
Y a-t-il un jour pour t’appeler?
Pays-corps tu gémis aux
Aléas de la mer.
Catastrophe. Beauté. Avant-Arrière.
Ça recommence. Avant-Arrière. Volupté.
Tu sais que rien ne dure.
Moi, je l’apprends avec toi.
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Tes distributrices de boissons
Sont les lucioles des quais de gare
Des rues, des ruelles et des recoins.
Je les regarde hypnotisée.
J’attends peut-être qu’elles s’envolent
Ou qu’elles m’invitent. Quel monde s’amuse
Derrière les cafés chauds et froids et l’eau de pêche?
Les néons criards de tes distributrices ont la poésie d’Éluard,
Le contre-sens réfléchi, addictif et diffamatoire.
Japonisme brillant, bruyant, revêche,
Pièce de manga, de film, de roman, de la vraie vie.
J’aime tes distributrices comme des œuvres d’art.
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Un café, un matcha, un saké.
Je prendrais tout de toi
Jusqu’à plus soif, jusqu’à boire la tasse.
Un sourire, une chanson, un ami,
J’accueille mon rêve du Japon dans
Le jour qui ne se couchera plus sous mes
Paupières indélébiles, car je t’aime vois-tu,
Je t’aime à dormir debout.
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Le microphone parle. Il dit je ne sais quoi.
Les autres comprennent et tout le monde,
Dans la valse, en rang d’oignons, comme des sardines,
Tout le monde bien en place.
Le journal. La télé. La radio. Le marchand de journaux.
Les autres comprennent et moi,
Dans la valse, je me fonds dans la masse.
Je ne comprends pas, je vis, je retrouve, je repère,
Je comprends qu’un jour j’ai dû comprendre,
Qu’un jour je comprendrai à nouveau. Je ne suis pas perdue,
Je viens de me retrouver. J’ai ouvert une can de verre,
Une boîte de sardine où j’ai déjà eu mon banc,
L’étrange impression du grand déjà-vu.
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La poésie crue et addictive de l’utilitaire
Frappe tes annonces publicitaires,
Les néons de tes enseignes, les choses vulgaires.
Tout est beau en toi. Je ne vois que ça.
Je ne vois que toi. Je t’ai tellement rêvé
Que je pourrais te dessiner à mains nues, à main levée.
Ton quotidien me pénètre, tantôt le matin, tantôt la nuit tombée.
Je t’absorbe, je te presse contre moi, je te crois à peine.
Puis il faut repartir. Ranger les notes, carnets et cahiers.
Refaire mes valises. Partir. Je ne suis pas encore d’ici.
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Je repasse tes souvenirs dans ma tête étroite.
L’écho de tes lumières, les courbes de tes signes,
L’équerre de tes angles me restent tatoués ici et là.
Ma peau diaphane n’est pas assez grande
Pour les contenir tous, même les plus infimes.
Il a fallu que je parte. Ce bouche-à-bouche n’était pas
Fait pour me sauver. Pas cette fois.
Ça faisait beaucoup d’un coup, on aurait dit le Grand Bleu,
J’ai plongé jusqu’à en perdre le respire
Et le sens des priorités.
Tu m’as noyée et tu m’as foutu le feu.
De retour, je pense à toi, collée à ma vitre froide et ça me fait sourire.
Tu manques à mes sens même si tu n’es pas ma terre.
Un jour peut-être tu seras mon exil et j’inviterai mon père et ma mère,
Je leur montrerai qui tu es, ce que j’en sais. Ce jour-là,
Je t’embrasserai les yeux ouverts et ma flamme à moi,
Tu la reconnaîtras, ténue entre tes mains
Bien décidées à me retenir.