Chers voisins

Par Isabelle Millaire


Certains disent que ça prend un village pour élever un enfant. J’aime bien cette idée. C’est rassurant de se savoir accompagné(e) dans cette aventure, avouons-le, parfois éprouvante, d’éduquer ses enfants. La force tranquille du groupe. De la communauté.

Longtemps, j’ai habité Montréal. Jamais, dans la métropole pourtant très populeuse, je ne me suis sentie comme faisant partie d’un groupe. Zéro sentiment d’appartenance. Jeune adulte, j’ai vécu dans des immeubles à logements: plein de portes donc plein de voisins. Mais aucun que je ne connaissais par son nom. C’est à peine si je souriais quand j’en croisais un sur le pas de la porte de l’entrée principale. Même le concierge que je devais aller voir tous les premiers du mois pour payer mon loyer n’avait droit qu’à un petit hochement de tête entendu de ma part. Moins je voyais les autres locataires, mieux je me portais. À cette époque, un bon voisinage pour moi se résumait à ne pas faire de bruit à des heures indues. Point barre.

Quand j’ai rencontré mon homme, il habitait déjà en banlieue. Et quand nous avons commencé à parler cohabitation et bébé, entre sa maison julievilloise et mon 2 et demi montréalais, le choix s’est imposé de lui-même. C’est donc depuis près d’une douzaine d’années que je suis devenue une banlieusarde d’adoption. Et c’est ici, à Sainte-Julie, que j’ai compris le sens, et l’importance, de la vie de quartier. Peut-être qu’être mère a contribué à m’ancrer davantage dans ma communauté. À saisir la richesse que représente notre voisinage. Car avoir des enfants, c’est de facto avoir besoin des autres. Ce besoin de l’autre, il est humain. Il est sain. Se reconnaître en l’Autre. Et se sentir reconnue par l’Autre. Pour se rassurer. Pour se consoler. Je sais que si je suis en difficulté, il y a au moins cinq portes auxquelles je peux aller frapper pour demander de l’aide. Et je me fais un devoir de le dire à mes enfants: « S’il m’arrive quelque chose ou s’il y a une urgence, va chez Isabelle et Mario à côté. Ou chez Adrianna et les jumeaux. S’ils ne sont pas là, tu peux traverser la rue et aller chez M. Michel. » Et je pourrais continuer comme ça en nommant encore les noms de plusieurs autres personnes sur notre rue. Oui, maintenant, je connais le nom de bon nombre de mes voisins. Des voisins que mes enfants connaissaient d’ailleurs depuis qu’ils sont tout petits et qui, dans différentes situations, m’ont offert leur aide pour pelleter, m’ont conseillée dans la pratique d’un nouveau sport, m’ont donné un œuf pour faire des biscuits ou m’ont tout simplement saluée en souriant. Qu’on se le dise, le sourire franc de Darquise, une de mes gentilles voisines, quelques instants après une crise magistrale de bacon de Mimone, ça fait du bien.

Photo of happy little boy playing with yellow ball

Mes voisins ont à cœur le bien-être de ma progéniture. Je le sens. Je le vis. Un jour que Mimone jouait dehors avec son grand frère et que je les surveillais du coin de l’œil tout en coupant des légumes pour le souper, je vois tout à coup le ballon avec lequel ils jouaient rouler dans la rue. Cliché. Mais vrai. Mimone, plus petite et plus téméraire, s’élance. Le temps que j’abandonne ma tâche culinaire et que je me précipite sur le perron, mon voisin d’en face, M. Michel, l’a déjà interpellée et fait s’arrêter. Je le vois ensuite s’avancer vers elle et lui expliquer le danger de la rue et des voitures. Bien sûr, nous le lui avons maintes fois répétés. Mais parfois, quand ça vient de quelqu’un d’autre que papa et maman, ça a comme qui dirait plus de poids. Je vois donc ma Mimone hocher la tête et je l’entends dire qu’elle doit regarder des deux côtés avant de traverser. M. Michel me fait un petit signe de tête. Je lui souris. Rassurée, je suis retournée à mes légumes. Oui, ça prend un village pour élever un enfant.

octobre 04, 2019 — Isabelle Millaire

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