Journal en quarantaine d’une quarantenaire: tenir ses bonnes résolutions même enfermée?

Par Cheryl Coello


Depuis le 12 mars de l’année dernière, le jour de mes 39 ans, je me suis promis que mes 40 ans ne passeraient pas sous le radar. Les derniers anniversaires, depuis que j’ai quitté mon pays, le Vénézuela, en 2014, avaient été extrêmement mouvementés (parce que j’avais l’habitude de boire trop d’alcool) ou extrêmement ennuyeux parce que je n’y attachais pas beaucoup d’importance.

Mais je ne sais pas pourquoi, mon 40e anniversaire avait pris une importance presque absurde. Je crois que je suis entrée dans le cliché de la crise du milieu de vie. Je voulais changer moi-même, changer de vie, être quelqu’un d’autre, faire un voyage inoubliable ou célébrer dans le style. Après tout, mon 40e anniversaire serait en 2020, un nombre magique, le début d’une décennie... “J’ai le pressentiment que ce sera le meilleur anniversaire depuis longtemps”. Ha! Ha! Quelle clairvoyance, hein?!

Joanna a récemment publié un article sur l’ironie. Et pendant que je le lisais, je me rappelais comment, en début d’année, j’avais fait une liste impressionnante d’objectifs à atteindre d’ici 2020, parmi lesquels, j’avais pensé maigrir de 40 kilos avant mes 40 ans. Mais bien sûr, en janvier, ça aurait été un suicide de me lancer dans un régime alimentaire drastique qui m’aurait fait perdre ces 40 kilos, mais aussi probablement la vie - mon anniversaire étant le 12 mars. J’ai donc renoncé à ce défi.

Quand j’ai dit à Hélène que j’avais jeté l’éponge avec ce concept de “40 avant 40 ans”, elle ne m’a pas laissé abandonner. Si tu veux vraiment renoncer à un rêve ou à un vœu, suis mon conseil et ne le dis jamais à Hélène: elle ne te lâchera pas jusqu’à ce que tu réussisses! C’est comme ça qu’au milieu de ma confession de loser, elle m’a proposé l’idée la plus géniale. “Ne compte pas forcément des kilos; ça peut être des petites choses que tu n’aimes pas et que tu veux changer”. Boom!

Le lendemain, parce qu’en janvier, j’étais en mode turbo et avec les batteries ridiculement chargées tout le temps, j’ai montré mes 40 petits défis à Hélène. “Je commencerai le 1er février, c’est exactement 40 jours jusqu’au 11 mars. Un jour avant mon anniversaire, j’aurai mis en place un petit changement chaque jour”. Super. Je me sentais survoltée! J’ai décidé de commencer à préparer le contenu à l’avance, mais entre-temps, j‘ai commencé par remettre mes résolutions et voilà que c’est le 1er février, et je n’ai vraiment pas commencé. Le deuxième jour par contre, j’ai publié deux défis avec le hashtag #40AntesDeLos40.

“À partir d’aujourd’hui, je respecterai le calendrier”, me suis-je dit le 2 février avant d’aller me coucher. Mais je n’ai pas tenu ma promesse. Des jours et des publications sur les défis s’accumulaient, et dans mon désordre, je sentais que j’avais pris une mauvaise décision. J’étais stressée à l’idée de perdre la face et que tout le monde se rende compte que je ne publiais pas tous les jours comme j’avais dit. Cependant, au fil des publications, même si mon manque de persistance était palpable, le soutien des gens devenait de plus en plus tangible. Ils me répondaient, commentaient, s’identifiaient, me racontaient des anecdotes, se réjouissaient, riaient, s’inspiraient, alors j’ai continué. Avec mes défauts et mon désordre, j’ai continué à publier et chaque fois que je réussissais, je continuais d’être surprise par les réponses et par les gens qui revenaient dans ma vie, pour me parler même si des années s’étaient écoulées depuis qu’on avait jasé la dernière fois, ou encore pour me dire simplement qu’ils étaient contents de moi.

Le 11 mars, la veille de mon anniversaire, je suis allée au salon de beauté parce que, bien sûr, j’allais fêter mon anniversaire avec mes amis le lendemain. "Mes 40 ans seront différents et moi aussi". J’ai teint mes cheveux et je me suis laissée gâter toute la journée. En sortant, mon plus grand souci était de ne pas mouiller mes cheveux sous la pluie, parce que je les avais fait lisser et arranger. Aujourd’hui, je ris de ce moment quand j’y pense, mais c’est un drôle de rire. Un rire qui veut dire "si j’avais su, je me serais laissée mouiller par la pluie et j’aurais marché et profité de la rue."

Le 12 mars est arrivé et je n’avais pas pu "rattraper" les publications des défis manquants. Déjà les derniers jours avant mon anniversaire, je faisais les comptes et je me disais: "Allez Cheryl, si tu publies 5 messages par jour, tu peux y arriver", mais c’était impossible. Il faut dire que je ne faisais pas les publications sur un coup de tête, non, je réfléchissais beaucoup au message que je voulais donner, au texte et à l’image pour le faire. Mon petit monde se déroulait normalement à ce moment-là et le monde extérieur aussi. À ce moment-là toujours, le premier cas de coronavirus avait été déjà détecté en Équateur depuis deux semaines, mais il n’y avait pas eu de décès et les gens vivaient comme si de rien n’était, car les restrictions n’étaient limitées qu’aux événements publics et aux rassemblements.

Je me suis donc levée tôt pour travailler et j’ai fait ma publication de ce jour-là, le numéro 29, qui s’appelait "être flexible". C’était un énorme défi, parce que j’ai tendance à être dure avec les autres quand ils ne répondent pas à mes attentes sur n’importe quel terrain. Mais plus encore, j’ai tendance à être extrêmement dure avec moi-même quand je sens que j’échoue. C’était donc un répit de soulagement que j’ai partagé avec mon public, et aussi une sorte de grand pardon de ne pas avoir parfaitement réalisé ce défi de 40 ans. En fait, j’envisageais de poursuivre les publications et de terminer le défi, même en retard. J’avais décidé de finir tout ça en essayant de tenir tous les petits engagements que j’avais pris, tout en ajoutant les 11 derniers qui me manquaient.

Et c’est à ce moment que les choses deviennent cruellement drôles et que je peux m’identifier davantage avec ma chère Joanna. Ce jour-là, le jour de mon anniversaire, le jour où j’ai renouvelé mon engagement envers moi-même, où je me suis sentie remplie de joie et d’optimisme, ce même jour, le président équatorien est sorti sur la chaîne nationale et a déclaré l’état d’urgence. Tout allait être fermé, il y aurait des horaires limités, des couvre-feux, des restrictions à la libre circulation et leur lot d’implications sociales et financières. Le 12 mars, j’ai franchi cette étape dans ma vie, j’ai entamé ma quarantaine (d’années) et ma quarantaine (du confinement).

Comme vous pouvez sans doute l’imaginer, à la panique initiale a suivi la chute de mon moral. Tout perd son sens quand, du jour au lendemain, on passe de "normal" à "apocalyptique". Il y avait un calme tendu dans la rue, une confusion dans les médias et sur les réseaux sociaux, et on sentait une vague d’incertitude généralisée. Le même jour, j’ai oublié mon anniversaire, car je devais trouver ma mère de 67 ans qui n’était pas à la maison et qui, par décret présidentiel, ne devait plus être dehors. Je devais m’informer sur quand et comment je pouvais sortir acheter de la nourriture ou des médicaments, quand je pouvais aller à la banque, et ce que nous avions désormais le droit ou l’interdiction de faire.

“Mais qu’est-ce qui a changé de ta vie? Me demanderez-vous peut-être. Tu travailles chez toi aussi d’habitude”. Mais en fait, beaucoup de choses ont changé. Parmi mes petites réussites, j’avais mis en place des routines, résultat de mes défis: aller marcher et faire de l’exercice régulièrement, m’habiller chaque jour comme si je travaillais dans un bureau, méditer seule, j’avais aussi démarré un projet musical avec une amie talentueuse. Et au-delà des défis, chaque jour, je sortais pour me changer les idées, faire des courses, faire du shopping, chercher quelque chose, voir quelqu’un, prendre un café. Chaque jour je sortais, même pour un court instant. Mais surtout, je savais que je pouvais sortir de la maison librement et à tout moment.

Maintenir tout ce que j’avais mis en œuvre dans le défi de ma quarantaine est devenu impossible. Les sorties à pied ou au parc ont disparu dans la rigueur du confinement. Par contre, après avoir surmonté ma dégringolade émotionnelle il y a quelques semaines, j’ai finalement repris mes séances de danse solitaire (un autre défi). Je commençais à sentir mon corps s’engourdir et mes articulations devenaient douloureuses. “Tu dois bouger”, m’a dit Mario. Et je sais que je dois le faire, les ravages de mon sédentarisme extrême des dernières années commencent à émerger.

Je dois dire aussi que je partage un espace relativement petit avec ma mère (qui s’est retrouvée coincée avec moi en quarantaine, mais je vous en raconte plus sur elle et cette folle aventure un autre jour). Toujours est-il que c’est assez difficile de trouver de l’espace pour méditer, écrire, lire alors qu’on est l’une sur l’autre... Ma mère, plus que moi sans doute, s’ennuie terriblement, et bien sûr, je suis son objet de distraction. La bonne nouvelle, c’est que ces hauts et ces bas m’ont rendue plus patiente; un autre des défis que j’avais à relever.

Les 11 derniers challenges sont sur pause pour l’instant, comme ma vie personnelle. Heureusement, mon travail occupe la plupart de mes journées, sans quoi je serais devenue folle! Je pense à ceux qui sont en mauvaise posture ou sans travail, et ça me fait sentir de la gratitude. Avoir un travail était peut-être le meilleur cadeau de mon 40e anniversaire en fait. Ça me donne la chance, au moins en partie, de continuer ma vie au milieu de cette sombre situation due à la COVID-19.

Il y a des choses que nous ne pouvons pas contrôler bien sûr, mais il y en a d’autres que l’on contrôle totalement. Après une rupture très dure l’année dernière, j’ai décidé que mon prochain partenaire devrait être capable de s’engager avec moi à tous les niveaux. Je me suis dit que je voulais un partenaire prêt à travailler dur et à s’embarquer dans l’aventure avec moi, peu importe où nos rêves nous mènent. Mais si je ne suis pas prête à m’engager moi, ne serait-ce pas un peu hypocrite d’attendre que l’autre le fasse? C’est pourquoi, alors que j’attends que cet éminent personnage arrive dans ma vie et dans mon cœur, il est temps de me remettre sur pied et de renouveler mes engagements, à nouveau, envers moi-même. Peut-être que le défi que je me suis lancé sur les réseaux sociaux se terminera dans un, deux ou trois mois. Je ne sais pas. Mais valoriser mon existence et ma liberté commence aujourd’hui, dans l’enfermement. Au-delà du confinement. Par-dessus le confinement.

Il y a 11 défis en attente. Peut-être seront-ils précipités par un coup de pouce, un autre encouragement d’Hélène, ou par toi. Toi qui lis ce texte et qui as peut-être aussi laissé des choses en suspens en attendant la fin de la quarantaine. Peu importe. Il me manque 11 défis pour publier et d’autres sont en quarantaine, mais je n’ai pas cessé de faire mon lit le matin, ni de respecter mon style de vie et de nourriture Keto. Je suis sûre que toi aussi, tu as des choses dont tu dois être fière et que tu as fait des découvertes sur toi ces derniers temps. Moi, je n’ai pas cessé de respirer, de rire, de chanter, je n’ai pas cessé d’avoir des problèmes non plus, mais surtout, je n’ai pas cessé d’avoir la force (interne ou de ceux qui me soutiennent) pour les surmonter. On est vivants !

L’opportunité de reprendre la vie quotidienne nous attend au coin de la rue. Elle nous semble lointaine aujourd’hui, mais ensuite nous regarderons en arrière et ce temps ressemblera à un clin d’œil. Parce que c’est comme ça que la vie passe, avec ou sans coronavirus, en un clin d’œil. Le jour où les contraintes physiques seront terminées, il faut que les contraintes mentales s’envolent à leur tour, pour entreprendre la vie comme elle est, juste le moment qu’elle dure. Dès maintenant, j’imagine l’explosion de mouvements que je veux avoir dans mon futur quotidien et je souris: sortir plus, aimer plus, profiter de l’air libre et de la nature, voyager comme une folle et tout ce que je peux faire, récupérer mon corps par moi et pour moi. Et je pense déjà aux nouveaux défis de chaque année qui viendra: 41 endroits de l’Équateur que je ne connais pas, 42 livres à lire, 43 repas à essayer, 44 nouvelles choses à faire, 45 chansons à apprendre à chanter, 46 pays à visiter... Et ainsi de suite, jusqu’à 80 ans!

Et toi, que feras-tu après la quarantaine? Moi? Je vais voler de mes propres ailes!

avril 17, 2020 — Cheryl Coello

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