L'ennui-lebon-trait-dunion

Par Isabelle Millaire


C’est dans l’air du temps qu’il faut laisser s’ennuyer les enfants. Les petits comme les plus grands. Les laisser s’emmerder est sain, même si, quelques fois, entendre ma Mimone répéter inlassablement «Maman, je sais pas quoi faire!», ça finit par me faire l’effet du supplice de la goutte d’eau. Espérant l’aider à se trouver une occupation sans pour autant lui dire exactement quoi faire, je lui suggère parfois des activités: «Tu pourrais faire un casse-tête. Mamie t’a donné des crayons qui sentent bons; tu pourrais faire un beau dessin pour elle. Un jeu de logique?» Bien sûr, je propose d’emblée des activités calmes qu’elle peut faire seule (pas folle la guêpe!). Si toutefois je vois mon grand Lou errant lui aussi dans la maison à la recherche d’un truc à faire, je leur suggère d’aller jouer dehors. Moi, à leur âge c’était pas mal ma solution pour contrer l’ennui, aller jouer dehors. Mais les temps changent, comme on dit. Là s’arrête ma tentative pour les occuper. Lasse d’entendre mes cocos réclamer la télé, la console de jeu ou leur cellulaire pour jouer, je les menace alors de donner tous leurs jouets à des enfants qui sauront les apprécier… Oui, je sais, c’est indigne de dire pareille chose, mais une mère a une limite à sa patience et il arrive que la mienne s’effrite rapidement et me fait dire des âneries! Ou bien, quand j’ai l’esprit un peu plus vif, je leur propose des activités palpitantes comme faire leur lit, ramasser les Barbie qui ont pris possession de notre salon, ranger les collections de gommes à effacer et d’autocollants… C’est fou comme ces suggestions sont vite repoussées et ont pour résultante un intérêt subi pour toutes ces traîneries! J’ai même déjà eu droit à un «Je peux pas faire mon lit, maman, je m’en vais faire une détente dedans!» Grand Lou, va!

Laisser les enfants trouver (ou pas!) comment ils occuperont leur temps libre est primordial. Et ce n’est pas anodin si je parle de «temps libre» puisque à la garderie, à l’école, dans les camps de jour et même à la maison, l’horaire des enfants est souvent (trop) bien rempli. Ils se font dire quoi faire et quand le faire. Ils se font presser pour s’habiller, finir un travail, mettre leurs souliers… Ils ont les oreilles qui bourdonnent de consignes, de recommandations, d’exigences de toutes sortes. Pas étonnant que mon Lou s’exclame régulièrement: «J’ai jamais le temps de jouer!»

Pendant longtemps, j’ai cru que pour être une bonne mère, il fallait que j’occupe constamment mes enfants. Pas de temps mort! Donc, en plus des activités auxquelles ils sont inscrits certains soirs et la fin de semaine, je planifiais des activités familiales pour les rares moments que nous passions en famille. Tu comprends, je voulais profiter au maximum de ce précieux temps dont nous disposions enfin. Je ne réalisais pas que, souvent, tout le monde était fatigué et que, même si l’activité avait un grand potentiel de plaisir, on finissait par s’engouffrer dans l’auto en bougonnant, fâchés et stressés, alors que c’était supposé être un moment plaisant. Mais malgré cette ambiance moche, j’ai persisté longtemps à remplir le moindre espace vide sur notre grand planificateur familial! Mon réveil face à cette situation s’est opéré grâce à mon fils. Ayant pris la semaine de relâche de congé pour être avec eux, j’avais cherché sur le Net toutes les activités, gratuites ou pas, à faire dans les environs pendant cette semaine de congé. Tous les jours, il y avait donc quelque chose à notre agenda: décoration de cupcakes au café du coin, atelier de fabrication de glue, etc. Et le soir, voulant que mes cocos anticipent joyeusement la journée du lendemain, je leur disais, enjouée, «le programme pour demain ». Rendu au mercredi soir, mon Lou me regarde avec ses grands yeux fatigués et me demande si on est obligé de toujours prévoir quelque chose… Et là, je reste bouche bée. Moi qui voulais leur faire passer une semaine mémorable avec mamounette, je me rappelle soudainement que cette semaine nommée «relâche» a été instaurée pour faire une pause dans la routine. Et moi, depuis le début de ce temps de pause, j’appuyais sur le bouton accéléré…

Cet été, j’ai donc slaqué sur le programme. Du temps de jeu, mes cocos en ont plein. Ils redécouvrent leurs jouets. Sortent dehors quand ils entendent les petits voisins s’amuser. Font des potions magiques avec de la terre, des feuilles et des roches. S’extasient à la vue d’un verre de terre après la pluie. Me demandent le nom de l’oiseau qui crie (coucou geai bleu!) Parfois aussi, ma présence «active» est requise: on m’amène au salon de beauté, apparu subitement dans la cuisine! On me dorlote: manucure, pédicure, coiffure, maquillage… Ainsi, au gré de leur inspiration, je deviens tantôt une princesse, tantôt Pikachu! Ils se filment en commentant ma transformation. Inventent des chansons en me peinturlurant des pieds à la tête! Et j’en passe!

S’ennuyer, c’est développer son imaginaire. S’ennuyer, c’est chercher quoi faire par soi-même et non pas toujours se faire dire quoi faire. Et parfois, ne rien faire de précis, papillonner d’un jeu à l’autre, écouter de la musique en flattant le chat, c’est amplement suffisant.

août 16, 2019 — Isabelle Millaire

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