La Robe de Macha

Par Hélène Lebon

Macha la douce, Macha la dure. Comme son surnom affectueux dont la consonance russe mais sans rapport, revêt quelque chose de terrible, de terrifiant, de plus grand que notre entendement, quelque chose d’implacable et de révolutionnaire comme seuls les Russes savent le faire.

Des fois, je me demande si je traverse son esprit comme elle traverse le mien quand je passe ma main indécise dans mon armoire et que je tombe sur cette robe en soie qu’elle m’a donnée, ce monde en soi que j’ai quitté.

Des fois aussi, quand je trouve un bout de ma vie un peu dur à surmonter, je me prends à penser à ce qu’elle ferait.

Macha et ses cheveux blonds neige, toujours bien coiffés sauf parfois au petit déjeuner, quand les yeux endormis elle sert le café. Mais ça ne dure jamais. Vite, elle est prête. Elle est toujours prête. Car Macha sait que la vie n’attend pas. Elle a déjà perdu son plus jeune, frappé sur la route au début de sa vingtaine, juste avant Noël.

Macha et ses yeux bleus acier, vifs comme un fond de puits clair où l’on se sent parfois plonger, nu comme un ver de terre dans une tempête de verre d’eau. Mais il arrive aussi que ses yeux rient et alors ils rient plus fort qu’elle, et on se sent heureux quand Macha rit, éclaboussé d’un bonheur limpide et fugace, d’un amour absolu dont on profite tant qu’il existe, un azur dont on se baigne jusqu’à plus soif.

Un jour, Macha fermera ses yeux clairs iceberg dans une ombre abyssale. Ce jour-là, je ne l’aurai sans doute jamais revue mais quelque chose me crèvera le coeur. Une douleur aigüe et criarde qui me pincera l’âme sans crier gare. Déjà les rides autour de ses paupières cernaient l’éclat que je lui avais connu quand je l’avais rencontrée la première fois. Car j’ai rencontré Macha il y a de ça plusieurs années, mais je ne sais pas vraiment si nous nous sommes connues.

Parfois, je porte la robe de Macha au motif fleuri bleu-gris, à l’encolure féminine et la soie douce et légère. Je la porte au corps comme son souvenir au coeur, des bribes d’histoire qui m’effleurent la peau. Toute cette vie d’avant que je regarde derrière moi sans tellement nostalgie, juste une infinie douceur.

Aujourd’hui je porte la robe de Macha et je l’enfile comme un costume de super-héroïne, une armure contre la vie en chien qui passe en triste pour vivre le meilleur, un étendard féminin à nos vies qui se croisent et nos regards qui nous vivent, comme un puissant raz-de marée.

Macha la forte, Macha la belle, puisses-tu toujours être éternelle.

* Macha et moi nous sommes fréquentées pendant presque dix ans, chaque fois que j’ai été avec son premier fils.

mars 29, 2019 — Hélène Lebon

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