Crochet - Señorita Sureña - Lebon Trais d'union

Par Cheryl Coello

Caty, mon amie, est ce qu’on appelle une femme orchestre. Non seulement c’est une cuisinière incroyable, une pâtissière diplômée, mais c’est aussi une chanteuse talentueuse et guitariste. Avec son partenaire, un talentueux luthier, elle a monté une entreprise de réparation et de fabrication d’instruments de musique, ici à Quito, et ils travaillent là ensemble. Comme toujours, elle m’accueille avec un café chaud, chaleureux comme elle, qui a toujours la porte ouverte pour ses amis et s’efforce de les mettre à l’aise. Mais au-delà de l’amie et l’entrepreneure, il faut savoir que Caty tricote. Avec ses mains et un crochet, elle crée des choses incroyables, et dans ce délicat univers coloré, elle a entamé une démarche d’artiste qui me fascine.

Une artiste qui reflète le monde, une maille à la fois

D’entrée de jeu, Caty me partage un "défi" qu’elle prévoit commencer le 1er janvier 2021 : "Je veux faire une couverture climatique. Il faut tisser une corrida (une ligne de points) par jour, des points très basiques, en utilisant la couleur qui correspond à la météo du jour, mais je vais le faire en choisissant les couleurs en fonction de mon humeur, de mon climat intérieur". Sa façon de me le dire, sa joie et son enthousiasme sont irrésistibles. Je ne peux m’empêcher de me joindre au défi et je vous invite, vous qui lisez cette histoire, à vous joindre à nous dans cette exploration introspective. Une couverture qui reflètera notre humeur? Une carte postale intime, tissée serrée, à s’offrir à la fin de l’année...

Reflet des émotions, une maille à l’endroit quand on sent à l’envers

En lui parlant, je comprends combien tisser aide à se connaître. D’une part, cette activité nous permet d’exprimer des sentiments, des émotions et des pensées en utilisant des couleurs et des styles de tissu, pour créer chaque objet spécifique, qui à son tour traduit l’essence d’un besoin créatif. D’autre part, un morceau de tissu peut également refléter différents stades émotionnels. "Une fois, j’ai tricoté une écharpe et ça m’a pris des mois, et dans le choix de mes fils et le résultat, j’ai vu les changements de mon humeur. Quand j’étais très stressée, les mailles étaient serrées, sans air, et quand j’étais détendue, le résultat était des points plus relâchés. Évidemment, ce n’est pas ma plus belle réalisation, s’exclame-t-elle, mais il m’a aidé à comprendre et à "voir" mes sauts d’humeur", me raconte Caty, dans un sourire plein de sagesse.

 

Crocheter, une méditation active

Pour Caty, crocheter est une façon de se "vider l’esprit" : méditer. "Le tricot et le crochet, c’est une méditation active, c’est un acte thérapeutique dans le sens où il nous permet d’entrer dans une sorte de transe. Pendant que tu tricotes, tu ne fais que compter les points et bouger les mains, sans penser à rien d’autre", souligne-t-elle entre deux gorgées de café. Dans mon cas, tisser m’aide aussi à "débloquer" l’esprit, et dans les occasions où j’ai passé du temps à ce bel art, en tricotant je sens que je "tisse mon futur" littéralement. Je fais des plans et visualise des actions que je ferai dans le futur comme je forme des points. Tricoter est une thérapie qui convient pour combler ce dont le tisserand a besoin, c'est là toute la noblesse de cet art.

Mon amie est le reflet des meilleures valeurs que je connaisse, et ses créations, des trésors chez ses proches, en témoignent. Quand je lui demande conseil pour celles et ceux qui voudraient se lancer, elle avance spontanément : "Soyez patient!... Et finissez toujours ce que vous commencez. Chaque pièce terminée sera une belle motivation pour entreprendre la suivante". La Señorita Sureña maintient la tradition qui a commencé dans son enfance, mais qu’elle réalise aujourd’hui de manière très différente : "Quand j’étais petite, c’était juste pour les dames et les filles. De nos jours, tout le monde peut tisser, crocheter, tricoter, coudre! Hommes, enfants, femmes, n’importe qui, de n’importe quel âge peut se lancer et apprécier!".

 

Une exploration des supports, la reconnaissance des réalisations manuelles

"Il y a trois ans, il y a eu un boom du tissu moderne", affirme-t-elle avec un enthousiasme contagieux. Cette émergence de la couture et autres activités liées aux fibres textiles sont devenues un passe-temps très trendy et ça m’a amenée à reprendre les aiguilles moi aussi, avec l’idée de créer des pièces esthétiques, assez jolies pour être photographiées, mais qui soient aussi fonctionnelles. J’ai commencé à créer des colliers d’allaitement, qui permettent de stimuler le bébé qui allaite dans les bras de sa mère, grâce à une variété de figures d’amigurumi suspendues." Je les ai faits pour mes amies, ils sont beaux et très importants pour le développement du bébé via la stimulation des sens". Je pense que pour identifier les besoins des autres, il faut avoir une profonde empathie. Selon moi, mon amie Caty a cette qualité et l’imprime sur chaque pièce qu’elle crée, parce que ce qui la motive, c’est de donner, remplir, embrasser avec ses créations.

Des colliers à la diversité

Outre les colliers d’allaitement, mon amie tisserande a fait de nombreux cadeaux pour ses amis et ses proches. "Soudain, j’ai eu un besoin impérieux de donner quelque chose d’unique qui ait beaucoup de sens pour mes amis", m’explique-t-elle. Les figurines d’action et les jouets d’amigurumi font partie de ses préférés, mais elle a aussi réalisé des objets décoratifs et utilitaires. Pour moi, elle a tissé un collier avec mes couleurs préférées et m’a récemment fait cadeau d’un étui pour mon appareil photo instantané, deux objets précieux pour moi que je chérirai toujours. "Une pièce tissée est un cadeau unique et très personnel, qui est aussi imprégné de bonne énergie. Il y a aussi un peu de romantisme dans le fait de donner un travail tissé, cousu ou crocheté pour l’Autre".

 

D’activité infantile à vocation d’adulte

En réfléchissant à ce qui l’a amenée au goût du tissage, Caty se souvient qu’elle a eu une enfance classique au Chili, son pays d’origine. Elle m’a dit qu’il avait étudié dans une école très traditionnelle, qui à l’époque offrait des activités extra-scolaires. "Avec la Señorita Odette, les filles apprenaient à broder et à tricoter, pendant que les garçons apprenaient à travailler avec du bois et des choses comme ça". Peut-être que c’est à cause de cette division des activités par genre que Caty ne s’est pas accrochée à cette activité à ce moment-là, peut-être que cette imposition était plus vue comme une limitation que comme une opportunité." Je ne finissais rien de ce que je commençais, mais ma mère finissait toutes mes pièces", me dit-elle. D’autres intérêts sont entrés dans sa vie et le tissu est resté dans les souvenirs d’enfance.

La twist moderne à un passe-temps ancien

Le destin des tissus de Caty n’est pas seulement de servir comme cadeau vous l’aurez compris. Pour elle, il est courant de “troquer”, ce qui est une tendance croissante en Équateur que j’ai eu l’occasion d’explorer récemment. Le dernier échange avec un de ses amis a été une séance photo en échange d’une figurine d’action en amigurumi de Van Gogh, avec tous ses accessoires, y compris un pupitre avec le célèbre tableau La Nuit étoilée." Je fais aussi des choses à mon fiancé, Felipe, qui est un fan des Beatles", me répond-elle quand je lui demande pourquoi elle a tricoté l’emblématique yellow submarine. Entre le beau et l’utilitaire, Caty tisse sa maison avec des dessous-de-verre de laine aux couleurs gaies ou des cadres de tissus encadrés qui donnent à la salle principale un air chaleureux et original.

 

Une communauté tissée serrée sur la toile

La nécessité de faire une pièce tissée est le point de départ du processus créatif. Caty se tourne vers Internet pour trouver un modèle d’inspiration et un modèle qui peut la guider dans la production de l’objet. Ensuite, elle passe le temps nécessaire à crocheter jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite de la pièce. Enfin, elle photographie la pièce et publie les photos sur ses réseaux sociaux de sa marque d’artiste. Pour Caty, il est primordial de donner du crédit à ceux qui l’inspirent, c’est pourquoi elle inclut toujours dans ses publications les noms et les comptes de designers qui nourrissent son travail, tels que vitagul, Marina Torreblanca, Molla Mills, et bien sûr, sa propre mère! "À l’avenir, je veux être conceptrice de modèles et les vendre, il me semble que c’est un effort qui mérite reconnaissance et respect". Même si en Amérique latine, nous sommes peu avancés en matière de droits d’auteur et reconnaissance du mérite de la création artistique, j’aime penser que Caty représente une génération beaucoup plus consciente de son importance.

Je suis sûre que Caty sera une source d’inspiration pour beaucoup de tisserands quand elle commencera une nouvelle étape comme conceptrice de motifs. Señorita Sureña, sa marque, est née plus du désir de partager des créations que de les vendre, car elle ne veut pas produire massivement mais seulement pour des personnes qui valorisent ses pièces. Chaque réalisation de Caty est unique : même si elle recherche de l’inspiration chez ses designers préférés, elle laisse toujours libre cours à sa créativité dans la sélection de couleurs et des modifications pour adapter les motifs à ses goûts et ses idées. Sur son compte Instagram Señorita Sureña, vous trouverez ainsi des hommages à Frida Kalo, aux Beatles et à Van Gogh, avec des décorations de Noël et des poupées traditionnelles; une mixité culturelle qui reflète la richesse dont jouissent les Latino-Américains, avec nos belles particularités et nos contradictions!

janvier 06, 2021 — Cheryl Coello

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