Une semaine de quarantaine – «Faut pas que j’panique!»

Par Isabelle Millaire


Ça me prend parfois à la gorge. Comme une vague qui arrive alors que l’on parle. On avale le bouillon. Ou plutôt: on s’étouffe avec le bouillon. Et je n’aime pas me baigner. Marcher sur le bord de l’eau, oui. Mais pas être dans l’eau.

Présentement, je n’ai pas le choix. Je suis dans le même bain que tout le monde. Isolée chez moi. Avec les enfants. À tenter de garder un semblant de vie normale. À tenter d’introduire une nouvelle routine rassurante. Une nouvelle routine d’apprentissage aussi. Toute la journée, je garde le cap. Peut-être un peu plus impatiente que d’habitude. (La patience n’ayant jamais été m’a première qualité, rien de trop étonnant là-dedans.)

Mais le soir.

Le soir, l’ampleur de toute cette crise me donne le vertige. Une semaine que nos vies sont cul par-dessus tête. Je suis incapable d’imaginer une fin à cette pause forcée. J’essaie de ne pas me projeter trop loin. Un jour à la fois. Et quand mes pensées s’emballent, je les arrête à grands coups de respirations.

Mes enfants aussi réagissent davantage en soirée. Hypersensibilité. Phobie (la peur du noir est de retour). Réveils nocturnes. Incapacité à s’endormir, même si l’heure sur le cadran indique que le sommeil devrait être au rendez-vous depuis longtemps. Les «je t’aime» de mon Lou qui se multiplient. Plus nombreux. Plus anxieux. Mimone qui est convaincue qu’elle ne dort jamais. Qui l’affirme haut et fort. Trop haut et trop fort. Les pleurs panique de mon Lou. Les pleurs de rage de Mimone. Mes pleurs retenus.

Mimone, ma rebelle, est plus agressive. Après trois jours seulement en isolement familial, elle a voulu partir. Oui. Petite Mimone a vidé le contenu de sa valise rose de ses vêtements de poupée pour y mettre les siens, de vêtements! Silencieuse, j’ai continué à boire mon café. Sans vraiment le goûter. Le cerveau à 100 miles à l’heure à la recherche de la bonne façon de faire. Mon Lou, désarmé, qui s’exclame: «Bien là, tu vas aller ou, Mimone?!» La réponse me donne froid dans le dos: «Je vais marcher jusqu’à ce que quelqu’un me prenne.» Angoissé, mon fils me regarde l’air de dire: «Fais quelque chose!». Je regarde ma mini ado. Nos regards se croisent. Elle fait tomber dans sa petite valise rose la paire de chaussettes qu’elle a en main. Je retourne, le cœur en miettes, à mon café. Trois secondes plus tard, les petits bras de Mimone me serrent. Sa tête collée sur moi, en larmes, elle me dit: «Je t’aime trop pour m’en aller!»

«Je t’aime aussi, ma Mimone.» Mon Lou sourit et reprend sa construction de Lego. Mimone et moi, on reste enlacées quelques instants. Je la serre fort. Très fort. Je sais bien qu’elle ne serait pas partie «pour vrai». Mais je ne peux m’empêcher de penser que ce qu’elle a voulu fuir à ce moment, c’est toute cette situation étrange qui lui échappe. Et qui lui est imposée. Partir pour retrouver «avant». Mais cet avant n’est plus. Ne sera plus non plus. Je sens que mes cocos ont perdu un brin de leur innocence.

mars 21, 2020 — Isabelle Millaire

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