Leila Slimani, ma soeur

Par Hélène Lebon

Ma soeur d’écriture, ma soeur qui ne me connaît pas, ma soeur d’entre-rives. Car la sororité c’est aussi un esprit, une connexion, un écrin bienveillant, un espace que l’on crée sans toujours s’en rendre compte. Je me promets quand même d’écrire à Leila Slimani pour Le parfum des fleurs la nuit. Une fois n’est pas coutume et je ne suis pas une bonne groupie. Mais je voudrais lui écrire. Lui dire que je n’ai pas réussi à la jalouser, qu’elle est plus forte que ça et que ça m’a beaucoup aidée. Je lui dirais qu’elle a donné à ma plume l’élan d’aller plus loin avec son dernier livre. Et avant de lui dire, c’est à vous que je me confie. 


Le parfum des fleurs la nuit : lecture de vacances 

Ça fait deux ans que j’ai pris mes dernières vacances, avec mes parents et ma soeur, dans le Sud de la France. On jouissait des terrasses en février, on a suivi la route des mimosas, on est passé à Grasse visiter Fragonard, on s’est arrêté à la Chapelle du Rosaire de Vence pensée par Matisse, on a fait un tour à Collobrière, pays de la chataîgne et même à Saint-Trop. C’était super, on était les Lebon à la mer. Puis, deux ans bien remplis se sont écoulés et finalement, me voilà à nouveau en vacances, dans ma maison de l’île car on ne peut pas trop s’évader entre les fuseaux et les parallèles en temps de covid. C’est donc libre de lire spontanément que j’ai découvert le dernier né de Leila Slimani. Une mention sur France Inter ou Le Monde et hop! Je le téléchargeais sans attendre sur ma liseuse. Je l’ai lu d’une traite. 


D’abord le baume au cœur de son écriture

J’aime que dans une liseuse, on peut surligner des passages et les garder. Après, on peut décider de relire à foison ce qu’on a surligné, se laisser pénétrer par l’impact choisi. Elle a mis un pansement sur ma plaie, elle a enlevé la main de devant mes yeux, elle m’a apporté un peu de paix et d’explication, un effluve de jasmin à la fois et mes souvenirs se mêlent. Elle a rendu justice à mon appel du texte tout en donnant à mon existence en patchwork le droit d’être rabibochée et cohérente. « Je voulais qu’on m’accepte et puis je ne voulais pas être des leurs. Quand on a plusieurs pays, plusieurs cultures, cela peut conduire à une certaine confusion. (...) On se revendique toujours étranger et on déteste en même temps que l’autre nous voit comme tel. » écrit-elle. Ce livre, c’est comme si elle avait pris un thé à la menthe avec moi dans un café de bord de mer, calées entre des coussins sur des tapis de couleurs vives.  


Les lignes s’écrivent, les barrières tombent

Elle est enfermée dans ce musée comme elle était prise avec l’héritage de son père on dirait, et dans la vie, quand il n’y a pas que du bon ou que du mauvais, ça nous prend toujours plus de temps pour défaire la pelote qui se noue dans notre gorge. Finalement, un changement de perspective, une nuit presque hallucinatoire, et la pelote devient fil d’Ariane. Elle sort au petit matin, je ressens sur son visage et le mien le jour qui se lève et l’air frais de Venise encore propre, j’entends les tasses qui s’entrechoquent, je connais le café matinal des villes méditerranéennes. «Tout doucement le ballet commence. On ouvre les volets (...) quand mon deuxième café, fort et brûlant, arrive sur la table, la vie a déjà repris son cours » Ça me fait sourire. Bien des portes que j’aurais pu pousser moi aussi, de situations que j’aurais pu écourter, mais il fallait les vivre pour savoir. 

 Leila Slimani + Lebon Trait d'union

Leila Slimani, écrivaine, c’est un peu moi

Ses mots ont résonné. Ses mots m’ont rassurée. J’ai le droit moi aussi de porter un drôle d’héritage, une situation complexe, ressentir sans toujours comprendre des lieux comme une maison, des appels à l’écho creux de mes tripes quand je ne sais rien d’eux. Le jasmin, le ciel turquoise, la Méditerranée. Tout est sur le tableau dont j’ai hérité de mamie. J’ai fait comme si je n’en savais rien, mais mes souvenirs me rattrapent. Trois de mes grands-parents sont nés sur les côtes africaines, je ne peux l’ignorer. Espagnol et Français, mais les pieds dans le sable, la nationalité d’alors n’enlève pas ces jours imprimés sur leurs pupilles. Je suis inconfortable, je comprends la tragédie coloniale, j’en suis navrée, je ne revendique rien. J’erre sur des chemins imaginaires de pays qui existent et où je cherche le droit d’être là. Et finalement Leila, entre deux rives - pour des raisons différentes mais dans cet entre-deux, fait de cette différence, de ce flottement, une vérité qui n’a plus besoin d’être conflictuelle. Et ça fonctionne. J’ai trouvé un endroit sûr où ma différence n’est pas problématique: l’écriture.


Je serai écrivaine

Je raconterai tout ce que je sais, ce que j’irai chercher. Je raconterai à mesure que je remonte le fil de ma mémoire, la quête et l’enquête. J’inventerai de bonne foi aussi. Je laisserai vivre des personnages qui croiseront dans mon roman des vérités pas toujours bonnes à dire. Je reprendrai le flambeau, je raconterai la famille, je pourrai prétendre que l’écart que je prends, c’est la littérature qui me l’octroie. J’enfanterai de mes ancêtres, j’enfanterai de moi. « Beaucoup pensent qu’écrire c’est reporter. Que parler de soi c’est raconter ce qu’on a vu, rapporter fidèlement la réalité dont on a été le témoin. Au contraire, moi je voudrais raconter ce que je n’ai pas vu, ce dont je ne sais rien mais qui pourtant m’obsède. Raconter des événements auxquels je n’ai pas assisté mais qui font partie de ma vie. » écrit-elle encore. Expatriée, j’ai pris la route il y a longtemps déjà pour être l’étrange à l’étranger et normaliser ma différence. J’ai pris la route et depuis peu, un refuge sur mon île. Les pieds dans la mer, je rejoins les miens. Leila Slimani, écrivaine accoucheuse, merci infiniment pour ce livre. 

mars 05, 2021 — Hélène Lebon

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