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Par Hélène Lebon

Poyo Rojo est une pièce sans parole qui raconte tellement de choses que pour une fois, les mots n’ont pas leur place. Les mots mettraient une distance, une traduction, une distorsion. Ils auraient été un filtre culturel et une lourdeur linguistique. Ils nous auraient trompés alors que les corps se suffisent. Poyo Rojo est au Centaur, mais surtout, il est à tout le monde. Anglophones, francophones, allophones, pour tous et chacun. Le théâtre du Vieux-Montréal lance une rentrée à couper le souffle sous l’égide de sa pétillante directrice Eda Holmes et son équipe.

Poyo rojo theatre argentin Luciano  Rossi Nicolas Poggi danse
©Andrée Lanthier

Les corps beaux et les coqs

J'ai été invitée à découvrir Poyo Rojo au Centaur. Je suis installée derrière un monsieur à la fois énorme et grand qui me cache 40% du centre de la scène. J’aurais pu bouger de place, mais la représentation venait de commencer et je me suis retrouvée là, clouée, les yeux rivés sur la scène, à ne pas ni vouloir ni pouvoir la quitter des yeux. Car ne pas regarder, c’est bâillonner les acteurs. J’ai passé la pièce à me dandiner, à me pencher de gauche à droite. Aussi, je m’excuse pour les gens derrière moi qui ont dû me trouver bien tannante, mais je ne pouvais pas décrocher mon regard de Nicolás Poggi et Luciano Rosso, les deux interprètes et chorégraphes. Je ne pouvais pas ne pas voir les corps qui me parlent, les coqs qui se volent dans les plumes. L’histoire, l’humour, l’amour, le mépris, le « sur-le-vif », le croqué, le pensé, l’inventé passent dans leurs faces et dans leurs membres, dans leurs mouvements et leurs mimiques.

Répétée mais unique, la pièce est présentée sur-mesure

Poyo Rojo c’est une histoire bien rôdée, une histoire d’attraction et d’egos, avec plusieurs pays traversés et forte de son succès, la représentation elle-même a été mainte fois répétée. Pourtant, elle est fraîche, authentique, décapante et sa touche burlesque n’a rien de grossier. La radio qui joue ne sonne jamais pareille, les émotions des acteurs et du public varient et chaque soir est unique. Comme nos histoires à nous et le jeu de séduction. Toujours pareils, jamais identiques. Pas une parole de toute la représentation et pourtant tout est là. Ils nous regardent, ils nous interpellent, ils nous provoquent, ils nous accompagnent et le noir de la salle n’est plus assez obscur pour s’y cacher. On est là, dans chacun de leurs pas.

Luciano Rossi Nicolás Poggi  Centaur theater Poyo Rojo hommes
©Andrée Lanthier

Poyo Rojo, insoumis et contagieux

Et des pas, ils en font. Ils en font en sautant, en s’accrochant, en suant, en soufflant. Ils en font plus de 400, ils en font comme une ode à la vie. Tout est mouvement, rien ne reste, corps, sentiments, convictions. C’est quand on s’aime qu’il faut se vivre. Insaisissable, la vie. Insaisissable, l’autre. Insaisissable nous. Et drôle. Drôle à nous tirer des éclats de rire francs, sensible à nous pincer le cœur et intelligent. Poyo Rojo a ce don de toucher et de trébucher dans nos écarts de pensée. Les gestes sont beaux, les complices aussi. Ce « combat de coqs » est rondement mené et on n’y échappe pas.

Poyo Rojo conquiert le public du Centaur

Quand finalement la lumière se tamise et que les corps se nouent, on voudrait que ça dure encore. Mais c’est ça aussi, la force de Poyo Rojo. Tout passe, tout bouge. Rien qu’on ne voudrait ni arrêter ni figer, rien qu’on ne se risquerait à emprisonner. La nature primitive des sentiments est insoumise et libre. Notre propre impermanence obtient ses lettres de noblesse. Sursaut à la fin, surprise pop de Luciano Rosso, c’est drôle quand on ne s’y attendait plus, juste assez pour repartir chez soi avec une impression de plénitude. Quelque chose opère. Il y a longtemps, très longtemps que l’enthousiasme ne m’avait pas collée aux tripes à ce point en quittant une salle de spectacle.

Vous êtes à Montréal? Poyo Rojo joue au Centaur du 24 au 29 septembre et je ne saurais que trop vous le recommander. Ailleurs dans le monde? Suivez le parcours de ce duo qui se promène dans le monde depuis presque 10 ans, ils seront peut-être bientôt chez vous!

septembre 26, 2019 — Hélène Lebon

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